LA REPARATION, « DOUBLE » CONVERSION

Pour qu’un élève comprenne, il faut que sa sanction soit désagréable, qu’elle « fasse mal ». Telle est la position éducative « traditionnelle » dans notre école. Si un élève se comporte mal, on lui fait une remarque, se fâche sur lui, l’exclut du cours, voire on le « casse » (c’est plus efficace). L’étape suivante est la retenue. Qu’y fera-t-il ? Recopier le règlement, écrire une lettre d’excuse... Peut-être même n’y fera-t-il rien. A elle seule la retenue de son temps fera office de punition. Puis on monte dans les sanctions : jour de renvoi, renvoi définitif… Cette échelle « grade » les incivilités. Par l’ampleur de l’exclusion, le but est de « faire prendre conscience » aux élèves de la gravité de leurs actes autant que de la précarité de leur situation dans l’école.

Appliquée mécaniquement (et c’est souvent le cas), cette méthode a cependant des limites. La première est qu’elle manque de contenu éducatif. La punition peut dissuader un élève de recommencer (ou de se faire prendre), mais il est plus difficile qu’elle lui fasse comprendre ce qui pose réellement problème. L’élève n’insultera peut-être plus devant un prof, mais il continuera à la sortie de l’école. Le second problème est que ce genre de sanction stigmatise l’auteur des incivilités, le place dans une position et un rôle dont il ne sortira pas forcément facilement. Le troisième problème vient du deuxième : certains élèves vont volontairement chercher à être stigmatisés comme « défiant l’autorité de l’école ». De ce point de vue, recevoir une retenue ou avoir un jour de renvoi, c’est un « score », et l’échelle ne s’arrête d’ailleurs pas aux murs de l’établissement. Il arrive ainsi que des jeunes se donnent du mal pour faire un séjour en IPPJ (Institut de Prévention et de Protection de la Jeunesse) et revenir du coup avec un vrai statut de « dur » dans la cour de récréation.

Pour éviter cette impasse de la punition, il est possible de passer dans le registre de la réparation. Comprenons-nous bien. La réparation ne vient pas se substituer complètement aux sanctions habituelles de l’école. Il existe toujours des retenues, des renvois partiels ou définitifs… Mais, lorsqu’on est face à une incivilité, on tente d’abord de voir s’il n’y a pas une meilleure solution. Avec les personnes concernées, on prend le temps de la parole pour voir ce qui a été « abîmé », et ce qu’il y a lieu de réparer.

S’il y a eu violence verbale devant des tiers, il s’agira ainsi de réparer par des excuses sincères et acceptées devant les mêmes acteurs. S’il y a eu dégradation, il faudra rembourser. S’il y a eu rumeur, on cherchera à réparer l’image dégradée. Ces « réparations spécifiques » sont assez simples à trouver et s’articulent autour des excuses à faire auprès des personnes lésées. Bien souvent, ces excuses suffisent d’ailleurs à rétablir la situation et tout le monde peut « repartir du bon pied ». Dans le cas contraire, on arrive dans la deuxième partie de la démarche : la réparation d’intérêt général.

C’est qu’il est finalement assez rare qu’il n’y ait qu’une seule chose à réparer. Si des insultes ont été prononcées par exemple, de simples excuses publiques ne suffisent en effet pas. Il faut également montrer à tout le monde que ce geste n’est pas adéquat et qu’on ne recommencera plus. La réparation d’intérêt général poursuit cet objectif : réparer aux yeux de tous, montrer qu’on a compris par un acte visible qui exprime l’inverse de l’incivilité de départ. Si on a jeté des pétards pirates, on pourra faire des panneaux expliquant leurs dangers. Si on a dégradé l’ambiance d’une classe, on pourra organiser une activité permettant de la rétablir. Si on a dégradé l’image de l’école, on pourra organiser un événement dont le but est de la mettre en avant.

Ainsi entendue, la réparation permet de« faire du positif avec le négatif », de convertir l’incivilité en levier de vivre ensemble dans l’école. Mais il s’agit aussi de convertir l’image de l’élève, de changer sa place dans le collectif. Etre « celui qui a frappé » ou « celui qui a volé », c’est dur à porter dans une école, et surtout à faire oublier. Les profs ne nous regardent plus de la même manière, les élèves s’attendent à ce qu’on recommence, voire nous y encouragent.

Pour sortir du cycle, la réparation joue le jeu de la réhabilitation. Plutôt que d’être « celui qui a vendu des pétards pirates », l’élève peut devenir « celui qui a contribué à leur disparition ». La réhabilitation dépendra bien entendu de la « publicité » qui sera faite de la réparation. Mais pas seulement. La conversion est ici d’abord personnelle, une manière de se projeter soi-même, d’être fier de soi. En témoignent par exemple ces nombreux élèves qui, construisant un panneau de sensibilisation suite à une dégradation, prennent plus de temps que prévu, ramènent leur panneau chez eux, voire en font deux. Ils ont pris du plaisir à faire quelque chose dont ils peuvent être fiers. Bien avant qu’on ait pu en faire la publicité, se sont déjà dessinées en eux les conditions d’une reconversion positive dans le groupe, conversion qu’il faudra néanmoins à chaque fois accompagner pour qu’elle arrive à son terme.

Il arrive cependant que des élèves décident de ne pas « prendre » la perche qu’on leur tend. Peut-être ne sont-ils pas en confiance ? ou n’ont-ils pas envie de trouver une place positive dans le collectif de l’école ? Dans ces cas-là, la réparation n’aura pas lieu, la participation sincère étant nécessaire à sa réussite. On reviendra alors sur une sanction plus traditionnelle. Mais, même sous forme de proposition, la réparation aura joué un rôle, celui de renforcer le message éducatif lié à l’incivilité et de marquer la bienveillance du collectif par rapport à l’individu. Qu’elle soit réalisée ou simplement potentielle, la réparation exprime un système éducatif bienveillant et constructif, un système qui ne peut indéfiniment être pris pour un ennemi.